Ferdinand se sentait d’humeur radieuse aujourd’hui, il se prépara, se regardant longuement dans la glace, satisfait de son allure. Il serait volontiers parti en rendez-vous galant, mais il savait que cette fois, ce serait plus complexe. Il enfila son manteau et demanda au palefrenier d’amener sa monture: une belle jument fringuante visiblement ravie de le voir.
Il passa par la cuisine pour réclamer un pain et une bouteille de genièvre à sa bonne: il savait que la route serait longue.
De son côté, Ursule peinait à se préparer, ne sachant à quoi s’attendre. Elle enfila une longue jupe-culotte de cavalière et brossa son manteau noir. Inès fit seller son cheval, un fier étalon qu’Ursule avait capricieusement acheté, si vif qu’elle ne prenait guère plaisir à le monter. Elle regrettait son choix mais se dit en souriant que son orgueil ne lui aurait pas permis de chevaucher un vieux canasson arthritique.
Elle était à la fenêtre quand elle vit arriver Ferdinand au petit trot au bout de l’allée. Elle descendit et s’empressa d’enfourcher son destrier pour le rejoindre. Ils se mirent en route après s’être salués, Ferdinand imposant un galop soutenu à la jeune femme.
Ils s’arrêtèrent une heure plus tard, le long d’un cours d’eau, non loin d’une forêt.
- Mais où m’emmenez-vous donc? demanda-t-elle essoufflée.
- Je ne puis vous le révéler, je vais même devoir vous bander les yeux.
Ursule se dit que décidément, elle subissait cela de plus en plus souvent ces temps-ci…
- Vous savez, cela fait bien longtemps que j’ai perdu mes repères, je serai bien incapable de refaire la route, je ne pense pas que ce soit nécessaire.
- Je suis désolé, j’ai des consignes;
Alors qu’elle enfilait ses gants de cuir, il lui passa le bandeau aux yeux et l’aida à remonter à cheval, saisissant ses rennes pour l’amener au point de rendez-vous à petite allure. Le soleil commençait à rougeoyer à l’horizon et le vent se faisait plus frais, la nuit ne tarderai plus à venir.
Ils contournèrent la forêt et approchèrent d’une immense bâtisse visiblement à l’abandon. Il s’agissait d’une ancienne abbaye délaissée suite à des rumeurs de rites franc-maçons il y avait de cela une cinquantaine d’années. Les habitants de la région l’évitaient comme la peste et l’avait surnommée la Malfiance.
Hubert de Zerst y tenait ses réunions secrètes, à l’abri des regards. Ursule reconnut le bruit de plusieurs chevaux qui se reposaient d’une longue route… Ferdinand la fit descendre de cheval, l’amena dans le hall et la débarrassa de son manteau avant de la faire pénétrer dans la salle de réunion. Les yeux toujours bandés, elle se sentit dévisagée par plusieurs hommes, dont deux se mirent à chuchoter subitement.
Ferdinand rejoignit sa place parmi eux et la présenta. Hubert lui exposa alors le motif de sa présence, sans entrer dans les détails.
- Vous aurez en charge, Madame, l’assassinat d’un haut personnage ecclésiastique, en toute discrétion et efficacité, en serez-vous capable?
- Capable, certes, mais pourquoi le ferai-je?
- C’est cela ou la potence vus vos agissements Madame!
Voilà donc le prix dont avait parlé Ferdinand Milos, un échange de bons procédés.
- Je…
- Votre avis nous importe peu, vous n’avez de toute façon guère le choix. Procédons au vote chers amis: confions-nous à cette femme la réalisation de notre plan?
Chaque participant articula un « pour » franc, sauf le dernier qui hésita avant de parler. Ursule tréssaillit, elle reconnut cette voix, elle l’aurait reconnu entre mille. Il était là, au milieu de ce traquenard: elle se sentit flouée, manipulée, il s’était donc moquée d’elle, tout ça pour en arriver là.
Sa rage monta instantanément et en une seconde elle arracha le bandeau qui l’aveuglait. L’inconnu tourna vivement les talons mais trop tard, elle avait reconnu celui qui la dominait depuis tant de soirées. Ses yeux s’embuèrent de larmes en contemplant son dos, elle jeta le tissu noir au sol et s’enfuit.
Sa colère l’emportait sur tout autre sentiment, et , parvenue dans la cour sous une pluie battante, elle enfourcha son cheval et partit au grand galop.
Dans la salle de réunion, Hubert de Zerst, à peine étonné, fit un signe de la tête à cet associé si improbable.
- Lucas, hatez-vous, ramenez-la!
Il suivit le même chemin qu’elle et récupéra sa monture. Il vit Ursule traverser la clairière vers la forêt face à l’abbaye. Il fouetta sa jument et partit à sa poursuite.
Ursule n’avait aucune idée de la direction à prendre. Elle hésita avant de pénétrer dans la forêt mais entendant le bruit du cheval à ses trousses, elle s’y engouffra. Son étalon y paniquait peu habitué aux ambiances sombres et étouffantes des bois.
Après quelques minutes de galop au milieu des arbres, il se cabra face à un tronc d’arbre abattu et désarçonna sa cavalière qui dans sa chute heurta une pierre et tomba inconsciente. Guidé par les hennissements du cheval, Lucas la retrouva très rapidement. Il la prit dans ses bras, inquiet, et la chargea sur son cheval comme une biche morte. Il la ramena à la Malfiance.
Trax Oberdorn