Amis Belondaures, Voyageurs de passage,
voici révélée la Grande Histoire du Paon. Traqueuse intrépide et obstinée,
Ursule du Paon vous dévoile ici l'aventure de sa vie.
Vous y reconnaitrez peut-être des personnages, des lieux, des situations,
vous en êtes l'inspiration première.
Pour son plus grand plaisir.
Trax Oberdorn
A chaque seconde des histoires se terminent, à chaque seconde des histoires naissent. Ce matin-là, pour cette jeune femme, une page se tournait. Elle laissait derrière elle des années de dépit et partait vers un nouveau monde.
A la porte de la diligence, son ami lui tendait une petite pochette de satin noir.
- Tu arrives au bout de ton parcours ici, voilà ta nouvelle identité, prends-en soin, je l'ai forgée à ton image mon amie.
Elle regarda la pochette et déplia les papiers de ses doigts gracieux.
- ..."Ursule du Paon"... sourit-elle, ce n'est pas banal, j'aime bien, quelle inspiration t'a donc guidé?
Il réprima une moquerie passagère en repensant au couvent des Ursulines dont il avait apprécié la puissance des valeurs féminines et l'orgueilleux volatile dont il avait affublé ce prénom.
- Ce sont tes forces, ne les oublie pas. Et ne m'oublie pas...
Sentant ses larmes monter, elle ferma précipitamment la portière de la voiture. Le cochet fouetta machinalement les deux chevaux.
Elle devina alors, à travers la vitre, les mots accrochés sur les lèvres de son ami. Le coeur lourd, elle lui murmura Adieu alors qu'il s'éloignait.
Une page se tournait, Ursule quittait une vie pour une autre, elle façonnerait un autre univers ailleurs, au delà de ces frontières qui l'avaient emprisonnée ici. Elle était libre, jeune et jolie, prête à user des ses charmes pour parvenir à se refaire un nom. Elle regarda à nouveau les papiers posés sur ses genoux.
- ...Ursule du Paon...Nous allons faire connaissance et tu vas m'aimer...
Trax Oberdorn
Ursule erra de longues heures dans les rues de la capitale embrumée. Elle sympathisa avec le conducteur d’un fiacre qui lui expliqua qu’elle trouverait une petite taverne à l’entrée de la ville, près des faubourgs. Il proposa de l’y accompagner gratuitement, elle accepta, harassée par sa longue journée. Après quelques kilomètres de pavés chaotiques, il la débarqua devant une enseigne peu flatteuse, mais Ursule décida qu’elle s’en accommoderait, morte de faim et de fatigue. Elle n’avait pas d’argent. Le propriétaire lui ferait-il crédit d’une ou deux journées? Sans doute…
Elle entra, l’ambiance à l’intérieur était sombre et triste, un homme devant la cheminée ajoutait des buches dans l’âtre. Il la toisa des pieds à la tête, peu habitué à ce genre de clientèle.
- Je souhaiterai vous demander le gîte et le couvert mon brave… mais je n’ai le sou, me feriez-vous crédit de quelques jours?- Une petite dame comme vous, madame, toute une semaine pour peu que vous soyez serviable..
Ursule réprima une grimace, mais ce n’était pas la première fois: son long voyage l’avait maintes fois mise dans cette situation. Elle regarda longuement autour d’elle, réfléchit quelques minutes..- Mon voyage s’arrêtera ici, comme il vous en plaira monsieur…
L’homme sourit, lui apporta un repas reconstituant. Une fois la table débarrassée, il lui fit comprendre que le moment était venu d’honorer le contrat évoqué à son arrivée. Ursule se tourna contre la table et tandis qu’il retroussait ses jupons, elle contempla fixement le feu, une lueur maligne dansant dans ses yeux...Le lendemain matin, elle appela les gens d’armes du village: le tavernier gisait dans une mare de sang, égorgé par...des rodeurs à qui elle avait échappé de justesse... Elle présenta au bourgmestre quelques jours plus tard un document par lequel le tavernier lui laissait l’usage de la demeure.- Je veux y ouvrir une auberge, une auberge où vous pourrez venir vous ressourcer à votre grés..
Le bourgmestre la soupçonna immédiatement , mais la proposition était alléchante, et il décida de fermer les yeux sur ses doutes.
- Veuillez indiquer sur vos registres qu’elle s’appellera « L’Auberge du Paon » s’il vous plait, et que ce sera un hôtel de charme et très select…
Trax Oberdorn
Les jours passèrent, l’auberge commençait à attiter une nouvelle clientèle de bonne société: des dignitaires de la ville, des nobliaux qui venaient s’installer aux tables riches et fournies pour s’affronter verbalement comme les hommes aiment le faire. Par une après-midi morose sans soleil, on frappa obstinément à la porte.
- Nous n’ouvrons que dans une heure, précisa Ursule en entrouvrant l’indiscret de la porte.
Un homme approcha son visage et dit:
- Ouvrez, Madame, nous vous en prions.
Ursule, intriguée, ouvrit: une femme de haut rang encapuchonnée, visiblement soucieuse de ne pas être vue dans la rue entra prestement, suivie de son compagnon. Elle choisit une table au fond de la pièce, tandis que l’homme se dirigea vers la cheminée, s’y accoudant, pensif.
- Servez-moi de quoi réconforter un cœur troublé, Madame, annonça la femme en ôtant son manteau. Vous êtes réputée pour votre discrétion, je vous serai grès de ne pas ébruiter notre passage.
A ces mots, Ursule reconnut Madame de Hernebourd, qu’elle avait croisée à une réception mondaine terriblement guindée et ennuyeuse. La jeune femme était jolie, soigneusement coiffée et aprêtée, mais son visage ne semblait pas accoutumé aux sourires de convenance. D’après les souvenirs d’Ursule, elle était mariée à l’homme le plus influent de la ville, celui sans qui rien ne se faisait. Ursule releva alors la tête et observa l’homme près de la cheminée.
- …Le Père O: il m’accompagne dans mes promenades, il est le garant de ma sécurité, précisa-t-elle.
Bien qu’il ne soit pas en tenue écclésiastique, elle se dit que sa prestance et son visage serein seyait à son ordre.
Ursule opina de la tête et apporta deux verres de Chartreuse. La longueur de l’après-midi et l’absence consternante d’autres clients parvint à délier les langues, les deux femmes riant de bonne grâce aux anecdotes savoureuses du prêtre.
- Voyez-vous, Ursule, O est le seul ami que je possède et à qui je puis me confier sans retenue.
Ursule sourit:
- Vous en avez désormais deux, très chère… très chère..?
- Amélie !
- Buvons donc un dernier verre en l’honneur de cette rencontre! Je manque cruellement de personnel, ne pourriez-vous pas me recommander quelqu’un?
- Justement, je connais une jeune fille tout à fait idéale. Elle cherche du travail depuis le décès de sa mère. Nous allons l’aller trouver avant de rentrer à la maison, n’est-ce-pas Père O?
- Je vous suis Madame.
Ursule serra Amélie dans ses bras avant qu’elle ne sorte, l’assurant qu’elle était ici chez elle.
Le lendemain, la jeune Inès se présenta à l’auberge, sa valise à la main, semblant y transporter tout ce qui résumait sa vie. Ses cheveux longs et acajou étaient attachés en un solide chignon, laissant échapper quelques mèches de part et d’autre de son visage souriant. Elle avait une belle allure et aurait pu faire illusion dans le grand monde. Ursule l’aima au premier coup d’œil, elle lui expliqua le travail, lui désigna sa chambre sous les toits et l’assura d’un traitement plus que décent en échange de son dévouement;
- Je peux vous assurer que je saurai vous montrer ma profonde gratitude, Madame.
Ursule sourit. Son affaire lui semblait florissante et cela la réjouissait. La journée fut, contrairement à la précédente, radieuse, les clients se succédant à bon rythme, accueillis avec entrain par la jeune Inès et sa patronne.
Trax Oberdorn
Cela faisait maintenant trois mois que l’auberge fonctionnait à plein tous les soirs. Ursule avait embauché deux cuisinières et un commis pour assurer la confection des plats auxquels elle accordait une attention particulière: les plaisirs de la bouche devant être honorés au propre comme au figuré. Ce soir-là, il restait quelques clients à table: Ferdinand Milos expliquait à sa conquête de la soirée le dernier contrat signé pour son journal « L’insoumis »; Amélie et son mari qu’elle avait réussi à sortir de son bureau. Elle était devenue une habituée de l’auberge et des confidences d’Ursule: elles confrontaient souvent, entre autres sujets, leurs avis divergents sur la façon d’appréhender les hommes, sous le regard amusé du Père O. Il se réjouissait de voir son amie ainsi épanouie et Ursule avait plusieurs fois remarqué quelques regards furtifs qui en disaient longs: elle regrettait pour lui qu’il ait à porter le si lourd fardeau de son engagement.
La soirée étant fraiche, et le commis occupé en cuisine, Ursule décida d’aller chercher du bois dans la remise du jardin, elle en profiterait pour souffler quelques minutes dehors. La nuit était claire et silencieuse, la jeune femme s’assit sur le banc de pierre qui s’adossait au mur de l’auberge. Elle entendit un craquement léger du côté de la remise et s’y dirigea pour voir quel genre de vermine son commis devrait piéger. Alors qu’elle s’approchait des piles de bois, elle ressentit une présence derrière elle, trop tard pour réagir: l’homme lui passa subtilement une cordelette autour du cou et la retenait ainsi menaçant de lui couper le souffle si elle criait. Elle essaya en vain de glisser ses doigts sous la corde, mais elle comprit que plus elle bougerait, plus il serrerait. Elle laissa alors tomber ses bras le long de son corps, attendant qu’il dise ce qu’il voulait. L’homme, de bonne taille, était collé à son dos, respirant délicatement dans le creux de sa nuque: un subtil mélange de brutalité et de sensualité. Ursule n’avait plus peur, elle comprit qu’Il ne la tuerait pas; elle s’abandonna à ses émotions, un flot de questions l’envahissant.
- Qui êtes-vous? réussit-elle à articuler.
Il lâcha la cordelette, glissa une main sur le cœur de sa victime, lui couvrant la bouche de l’autre: elle écouta alors sa voix grave et apaisante:
- Je ne suis ni un ange ni un étranger, regarde en toi et tu comprendras.
Elle sentit un frisson parcourir son dos, ses pommettes rosirent de plaisir devant cette énigme. L’Inconnu s’éclipsa alors sans qu’elle essaye de le suivre ou de le discerner dans le noir.
Elle ramassa le lacet noir sur le sol et après l’avoir longuement contemplé, elle se l’attacha autour du cou. Etrangement, elle se languissait déjà de Lui.
Elle retourna dans l’auberge, troublée et absente, demandant aux domestiques de terminer le service sans elle. Amélie remarqua l’attitude étrange de son amie, mais ne lui accorda pas plus d’attention que cela: la fatigue sans doute.
Ursule se réfugia dans sa chambre, s’allongea sur son lit et, tout en caressant le lacet autour de son cou, se répéta inlassablement la phrase qu’Il lui avait murmurée: « Ni un ange, ni un étranger…Ni un ange, ni un étranger… ». Pourtant, il lui semblait avoir rencontré les deux.
Une demi-heure s’écoula quand elle entendit des fracas de verres dans la salle du restaurant, elle descendit prestement voir ce qui s’y passait et découvrit le bourgmestre, ivre mort, réclamant avec une médiocrité affligeante les faveurs d’Inès qui le repoussait tant bien que mal. Ursule s’approcha et insulta copieusement l’ivrogne, le sommant de quitter l’établissement. Le restaurant était vide, et deux femmes seules viendraient difficilement à bout d’un tel enragé. Heureusement Ferdinand Milos, qui venait récupérer l’ombrelle oubliée de sa naïve dulcinée, entra et comprenant vite la situation, empoigna l ‘homme et le fit sortir, non sans écoper d’un flot de jurons avinés.
- Merci mille fois, Monsieur Milos, vous nous avez sorties d’un fort mauvais pas, dit Inès, ne cachant ni son émotion, ni son admiration pour ce sauveteur providentiel.
Flatté, Ferdinand sourit, remettant son habit d’aplomb. Il avait fière allure, charmant et charmeur, malgré les circonstances et l’heure avancée. Il posa sa main sur le dos d’Inès et lui promit d’intervenir à nouveau si l’outrecuidant se représentait. Elle rougit, n’osant plus le regarder dans les yeux…
Il ramassa la fameuse ombrelle et ouvrit la porte après avoir salué Ursule et Inès. Sans se méfier, il s’avança sur le chemin gravillonné. Il n’avait pas fait trois pas qu’il reçut un coup violent sur la tête et tomba à genoux. Inès se précipita, horrifiée et vit le bourgmestre debout à ses côtés, les yeux exorbités, une barre à la main , prêt à frapper de nouveau.
- Non!!! Cria-t-elle.
- Tu vas m’obéir alors, garce! Je sais beaucoup de choses sur ta patronne, sur l’aubergiste qu’elle a tué! Si je n’obtiens pas vos grâces, j’irai trouver la police dès demain! vociféra-t-il.
A ses mots, Ursule saisit un long couteau effilé sur une des tables: elle savait ce qui lui restait à faire. Elle sortit de la salle par l’arrière cour, fit le tour de l‘auberge et aussi subtile qu’une ombre, elle se glissa derrière l’homme et lui planta la lame dans le cou. Il s’effondra dans l’herbe, essayant en vain de retenir le flot de sang qui éclaboussait le costume de Ferdinand ébahi et sonné.
- Inès, tu ne diras rien, n’est-ce-pas? demanda sèchement Ursule, en essuyant la lame dans son mouchoir brodé.
- Je ne dirai rien Madame.
- Bien, alors occupe-toi de Monsieur Milos, prépare-lui un bain dans une chambre, qu’il se remette de ses émotions, je me charge de l’autre…
Elle traîna le cadavre vers la ferme voisine et après l’avoir copieusement lesté de pierres, le jeta sans bruit dans la fosse à purin. Sans le moindre remord.
De retour à l’auberge, elle ôta sa robe tachée et enfila une chemise blanche vaporeuse.
Elle croisa Inès:
- Monsieur Milos est-il visible?
- Il est encore dans le bain, je pense.
- Bien, alors, à demain, Inès, va te coucher.
Ursule saisit un chandelier dans le couloir et gagna silencieusement la porte de la chambre où se trouvait Ferdinand. Elle toqua à la porte.
- Monsieur Milos, êtes-vous visible?
- Tout dépend de votre tolérance…oui, entrez.
Ursule entra et posa se chandelle sur la petite table. Devant la cheminée, dans une baignoire de bois tapissée d’un grand drap blanc, Ferdinand se prélassait. Elle approcha la table et s’installa dessus pour scruter son invité en silence. Devinant ses pensées, il ne disait mot. Elle passa sa main à la surface de l’eau troublée par l’onguent qu’Inès avait pris soin d’ajouter. Elle y trempa un mouchoir et le passa sur sa tempe balafrée. Il cligna de l’œil.
- J’imagine que vu le coup que vous avez reçu, vous n’avez rien vu…
- Vous pensez bien au contraire que je n’ai rien râté…
- Que ferez-vous donc? S’enquit-elle inquiète.
- Rien, rien qui puisse vous porter préjudice. Vous m’avez quasiment sauvé la vie… mais…
- Bien. Mais..?
- J’ai un projet avec quelques autres, et je crois avoir trouvé en vous une parfaite associée. Nous en reparlerons si vous le voulez bien.
- Ai-je vraiment le choix?
- Il semblerait que non…
Elle décida de se retirer.
- Où puis-je trouver votre charmante employée?
Ursule sourit:
- Je vous l’envoie..
- Je ne voudrai pas la déranger.
- Je pense qu’elle sera ravie de discuter avec vous.
Elle sortit. Il se leva, les gouttes d’eau brillant sur son corps qui apparaissait étonnamment hâlé à la faveur du rougeoiment des flammes dans l’âtre de la cheminée. Il s’essuya, enfila sa chemise et son pantalon qu’Inès avait rapidement débarbouillés du sang et fait sécher, Il ne voulait pas être tenté de profiter de la situation. Son cœur s’emballa quelques instants quand elle frappa à la porte.
Trax Oberdorn
Commentaires
1. elven62 le 07-10-2008 à 21:09:39
Salut toi! Excellent! J'attends la suite!
Merci pour ton mail, j'étais chez so j'ai pas pu te répondre...
2. lafianceedusoleil le 14-12-2008 à 14:19:57 (site)
Belle journée
Bisou